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vendredi 30 janvier 2015

Intervenir dans l’espace public

Pour pouvoir sortir des cercles de “gens déjà convaincus”, pour se réapproprier les espaces publics comme des espaces de rencontre et de débat en abordant directement nos concitoyens, l’éducation populaire doit aujourd’hui aussi se faire dans la rue.

“Porteurs de paroles”, débats en jardin public, aménagements festifs de dissidence aventureuse ou de contestation dissidente, nous proposons une initiation théorique et pratique à la question de l’intervention d’éducation populaire dans l’espace public : sens de l’action, cadres réglementaires, organisation, repérages et réajustements.
Dates 2015 : du 17 au 20 mars 2015
http://www.scoplepave.org/intervenir-dans-l-espace-public-59

mardi 27 janvier 2015

La question de l'athéisme (Film "Iranien" de Mehran Tamadon)

La religion apparaît souvent comme une question pour la philosophie, la rationalité s’étant construite par distinction, sinon par défiance, de la foi, tenue parfois pour strictement irrationnelle. Mais le film inverse quelque peu l’interrogation : c’est la position de l’athée minoritaire qui demande à être comprise d’un point de vue tant philosophique que religieux. Le rôle du réalisateur qui initie le débat, en suggère les principes et les applications concrètes, justifie que, pour une fois, on examine les tenants théoriques et les aboutissants pratiques de l’athéisme. Par exemple, dans le contexte de ce débat, l’athée est-il (en fait/en droit) le seul garant d’un espace de pluralité et de neutralité ? Si, dans sa position humble et son écoute attentive, le réalisateur n’apparaît nullement comme un militant défiant l’ordre religieux, sa position minoritaire (seul face à quatre croyants) ne donnant lieu à aucune forme de radicalisation du discours, il est pourtant le meilleur défenseur de la possibilité de la parole adverse, il reconnaît qu’il doit bien penser sa coexistence avec la voix majoritaire. Cette dernière est donc amenée à prendre en compte une divergence de pensée, pour ne pas dire une déviance, qu’elle jugerait par ailleurs illicite.

Tolérance et Laïcité (Film "Iranien" de Mehran Tamadon)

La tolérance est un principe dont le sens a été précisé en Occident à partir des guerres de religion quand il s’est agi de penser la coexistence pacifique des confessions du point de vue de l’État. Elle suppose que l’on considère le fait d’admettre publiquement l’expression (en pensée et en acte) d’opinions ou de croyances qu’on désapprouve. Selon Brian Leiter dans son essai récent, un principe de tolérance authentique suppose qu’un groupe dominant, désapprouvant les croyances ou actes d’un groupe minoritaire, capable éventuellement de les changer, reconnaît pourtant qu’il y a « des raisons morales ou épistémiques » de permettre à ce groupe de croire ou de faire comme il le fait 1 . Mehran Tamadon incarne la revendication de la minorité (athée) à se faire tolérer par la majorité (chiite). Il s’adresse à des mollahs qui, se projetant dans la situation de l’Occident, revendiquent eux-mêmes en permanence de voir leurs opinions et croyances respectées. Ce décalage entre minorité rappelant un principe commun de coexistence dont elle dépend et majorité faisant mine de ne pas se considérer comme telle (et accusant parfois Tamadon d’imposer son point de vue) mérite d’être souligné auprès des élèves.
De fait, le réalisateur peut être vu par ses interlocuteurs comme le parangon d’une singularité exotique (française et athée). La citation célèbre de Montesquieu dans les Lettres persanes peut être réécrite du point du vue d’un mollah : comment peut-on être français ? Les élèves seront-ils sensibles à ce décalage du regard ? Si l’on s’en tient à ses positions explicites, Mehran Tamadon pose notamment le problème du principe de la laïcité comme exception politique et culturelle : il vit en France et conçoit ce principe républicain comme la condition nécessaire d’une coexistence des croyants et des non croyants, comme fondement d’une liberté de conscience, tandis que ses interlocuteurs, forts du choix historique du peuple iranien en faveur d’une République islamique, ne peuvent concevoir la laïcité que comme un principe idéologique imposé à tous, majorant à tort les libertés individuelles et minorant, voire limitant l’expression religieuse collective. Comment dépasser alors les partis pris ? Il est difficile à l’issue du visionnage du film, de savoir si les interlocuteurs ont changé de regard sur autrui.

À la recherche de la société idéale (Film "Iranien" de Mehran Tamadon)

De Platon à John Rawls en passant par Rousseau, toute une partie de la tradition philosophique s’entend pour penser que la société réelle présente des travers ou des inégalités, et doit être mise en regard d’un idéal de société défini selon des principes politiques justes. Que ce soit la question du meilleur régime qui prime, celle du fondement de l’autorité politique (contrat social), ou celle d’une définition a priori de la société la moins injuste (voile d’ignorance), les propositions théoriques sont nombreuses.
En proposant un espace commun dans lequel discuter du « vivre ensemble », Mehran Tamadon ne se réfère explicitement à aucune théorie. Mais il laisse entendre, à travers ses références à la laïcité, à la pluralité, que ce modèle implique la coexistence des différences, un respect mutuel à définir. Le débat final qu’il propose pour penser une forme de constitution peut être rapproché, à titre distinctif, de l’hypothèse du voile d’ignorance de Rawls, en raison de cette différence majeure que nul dans le débat n’ignore sa position propre et donc ses intérêts (même si ceux-ci ne sont jamais explicités). Définir une constitution à partir de principes existants, d’une norme d’autorité ayant fait ses preuves, ou à partir de nouveaux principes définis en commun ne peut ainsi s’entendre que dans l’opposition d’une place politique dominante acquise (celle des mollahs dans la République islamique) à une position minoritaire qui demande un droit à exister dans l’espace public (Tamadon qui se positionne comme un athée, et est donc perçu a priori dans ce régime comme un infidèle dont on ne peut se faire un ami).

La Laïcité: une neutralité ou une idéologie ?

Documentariste iranien vivant en France, Mehran Tamadon ouvertement athée, est parvenu péniblement à inviter dans une propriété iranienne quatre mollahs (érudits de la République islamique, versés dans la théologie chiite et le droit qui en découle) prêts à vivre avec lui pendant 48 heures et discuter des principes d’une société idéale où leurs différences pourraient s’exprimer. La coexistence épouse le rythme de la vie quotidienne, des repas partagés aux discussions attentives qui laissent les camps émerger et préciser leurs points d’antagonisme.
De part et d’autre, la laïcité est conçue soit comme un principe de neutralité fondamentale permettant la liberté soit comme une idéologie qui tait son autorité et son entreprise de domination. Comment s’entendre alors ? L’exercice du dialogue relève ici d’une mise à l’épreuve de ce « vivre ensemble » proposé par le documentariste.

Jusqu’où puis-je dialoguer avec quelqu’un qui exclut mon existence propre ?

Jusqu’où puis-je dialoguer avec quelqu’un dont la pensée semble exclure mon existence propre ?
C’est cette question que, dans une volonté de tolérance et d’ouverture, le documentariste Mehran Tamadon se pose à propos de sa condition d’athée en Iran. Et sa réponse tient à son courage de filmer, et d’affirmer : « Je veux exister dans une société qui me nie et dire ce que je pense ? Je prends ma caméra et je trouve des gens avec qui débattre ! ». Iranien, son deuxième long métrage, poursuit ainsi un dialogue délicat avec les tenants de la République islamique entamé avec ses deux premiers films, Behesht Zahra, mères de martyrs (2004, moyen métrage) et Bassidji (2010). Après bien des refus, le réalisateur est parvenu à convaincre quatre mollahs (religieux iraniens) de partager son quotidien pendant 48 heures pour discuter, sous l’oeil de la caméra, des conditions du « vivre ensemble ».
Il réactive à sa manière non seulement la forme philosophique du dialogue convivial (du Banquet aux textes utopiques de la Renaissance), mais aussi un questionnement politique sur les principes d’une société idéale éloignée de la société iranienne réelle, cette dernière restant marquée par l’opposition irréconciliable des points de vue (l’athéisme de Tamadon contre la pensée théocratique des mollahs).
Entrant en forte résonance avec la question aristotélicienne de l’espace politique, comme lieu commun où discuter « de l’utile, du bien et du juste » (lieu symbolisé par la salle commune des repas), par opposition à l’espace privé (symbolisé par les chambres), le documentaire se présente autant comme un exercice pratique de ce « vivre ensemble », que comme une réflexion sur ses conditions de possibilité. Il permet ainsi d’articuler de manière particulièrement claire les notions de société, de politique et de religion, combinées ou séparées dans l’intitulé des programmes de philosophie des terminales de série générale. La laïcité, espace de neutralité rendant possible la pluralité des opinions (religieuses ou athées), ainsi qu’une partie de leur expression, condition du vivre ensemble, est discutée dans son principe. Un État, même démocratique, peut-il être aussi laïc et donc neutre que la suggère Tamadon, et quelles limites donne-t-il à la tolérance envers des opinions religieuses ou antireligieuses ? À travers le documentaire, on voit combien le principe de laïcité ne va pas toujours de soi, et combien la question de la tolérance varie selon qu’on se trouve dans les conditions d’une pensée dominante (la République islamique) ou d’une minorité peu visible dans l’espace public (l’athéisme). Mehran Tamadon fait le pari que le débat ouvert avec les mollahs, dans l’utopie de cette
parenthèse plus ou moins enchantée, contient une promesse de considération réciproque. Introduction, Dossier pédagogique du Film Iranien de Mehran Tamadon.

L'espace commun est neutre. Il n'est ni exclusivement à moi...

"Je ne suis pas certain que la société idéale doive être religieuse. Elle doit être laïque. L’espace commun est neutre. Il n’est ni exclusivement à moi qu’on dit athée, ni à vous qui êtes religieux, ni à un autre groupe qui aurait une autre idéologie." Mehran Tamadon, réalisateur.